Mis en ligne le 6 Août 2009
Questions Fréquentes

logo-sfar-ok-400 Thomas Geeraerts, Jacques Duranteau
Assistance Publique – Hôpitaux de Paris et Université Paris-Sud,
Centre Hospitalier Universitaire de Bicêtre,
Département d’Anesthésie-Réanimation,
94275 Le Kremlin

Question 1 – Comment apprécier l’importance du syndrome hémorragique et la quantité de l’hématome rétro-péritonéal ?

Question 2 – Quelles sont les fractures instables du bassin ?

Question 3 – Comment diagnostiquer les lésions associées urogénitales et rectales ?

Question 4 – Quelles sont les différentes méthodes de fixation chirurgicale en urgence d’une fracture instable du bassin ?

Question 5 – Quelles sont les places respectives de l’embolisation pelvienne et du fixateur du bassin en urgence ?

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Question 1 – Comment apprécier l’importance du syndrome hémorragique et la quantité de l’hématome rétro-péritonéal ?

L’évaluation de l’importance du syndrome hémorragique est très difficile en cas de fractures du bassin. La gravité initiale s’établit cliniquement sur la présence d’une détresse hémodynamique avec hypotension artérielle (pression artérielle systolique < 90 mmHg) et tachycardie (fréquence cardiaque > 120 bpm) ne se corrigeant pas après une expansion volémique adaptée (500 ml). L’hématome rétropéritonéal peut atteindre 4 voire 5 litres. Cependant si les lésions veineuses entraîneront une instabilité hémodynamique en cas d’hématome rétropéritonéal important, les lésions artérielles peuvent être rapidement responsables d’une instabilité hémodynamique majeure secondaire à une « fuite » sur un circuit à haute pression. Il est bien entendu évident que les besoins transfusionnels sont en relation directe avec l’importance du saignement. Il est ainsi communément admis qu’une transfusion de plus de 4 culots globulaires témoigne d’un saignement rétropéritonéal important, même si cela ne repose sur aucun argument formel.

Question 2 – Quelles sont les fractures instables du bassin ?

Tile et Pennal [1-3] ont décrit trois types de mécanismes lésionnels.
— Type A avec compression antéro-postérieure. Ces fractures sont considérées comme stables.
— Type B, résultant le plus souvent de compression latérale, avec risque de fracture de l’aile iliaque et des branches ilio et ischiopubiennes, ainsi que des lésions de l’articulation sacro-iliaque. Ces lésions présentent une instabilité horizontale avec une stabilité verticale conservée. La fracture en « livre ouvert (open book) » en fait partie et correspond à une ouverture de la symphyse pubienne avec écartement vers le dehors d’un hémibassin.
— Type C (cisaillement vertical) survenant lors de chute d’une hauteur élevée, avec ascension d’un hémibassin associant des lésions postérieures osseuses coxales ou sacrées, ou ligamentaires sacro-iliaques à une disjonction de la symphyse pubienne ou des lésions osseuses du cadre obturateur. Ces fractures entraînent une instabilité complète, à la fois horizontale et verticale.

Les fractures de type C sont les plus hémorragiques, puis viennent les fractures de type A, et enfin celles de type B. Par ailleurs, les fractures avec déplacement supérieur à 0,5 cm sont associées à un risque d’hémorragie plus élevé [4]. Cependant, si certains types de fractures sont associés à une augmentation de nombre de culots globulaires transfusés, la corrélation est loin d’être parfaite. Ainsi, le type de fracture n’est que partiellement prédicteur du risque hémorragique.

1. Young JW, Resnik CS. Fracture of the pelvis : current concepts of classification. AJR Am J Roentgenol 1990 ; 155:1169-1175.
2. Pennal GF, Tile M, Waddell JP, Garside H. Pelvic disruption : assessment and classification. Clin Orthop Relat Res 1980:12-21.
3. Tile M. Acute Pelvic Fractures : I. Causation and Classification. J Am Acad Orthop Surg 1996 ; 4:143-151.
4. Cryer HM, Miller FB, Evers BM, Rouben LR, Seligson DL. Pelvic fracture classification : correlation with hemorrhage. J Trauma 1988 ; 28:973-980.

Question 3 – Comment diagnostiquer les lésions associées urogénitales et rectales ?

Les lésions urologiques sont retrouvées dans environ 7 % des traumatismes du bassin [1]. Plus les déplacements des structures ostéo-ligamentaires sont importants, plus le risque de lésions urologiques est élevé en particulier dans les lésions de disjonction symphysaire ou de fractures para symphysaires. Chez l’homme, on peut observer des lésions de l’urètre postérieur, révélées par une urétrorragie ou un globe vésical. Ainsi, chez les patients présentant une fracture déplacée du bassin tout sondage urinaire par voie urétrale est contre-indiqué tant que l’intégrité de l’urètre n’a pas été vérifiée. L’examen qui permet ce diagnostic est l’urétrocystrographie rétrograde. Elle objective une rupture partielle ou complète de l’urètre. En cas de lésion urétrale, la mise en place d’un cathéter sus-pubien s’impose. Chez la femme, pour des raisons anatomiques, les lésions de l’urètre sont plus rares. Les ruptures de vessie s’observent lors d’un traumatisme à vessie pleine et résultent le plus souvent d’une lésion directe par une esquille osseuse ou de rupture par hyperpression. Elles peuvent être sous péritonéales ou intrapéritonéales. L’hématurie est très souvent présente. L’échographie abdominale réalisée à l’arrivée des patients permet, si elle retrouve une vessie pleine d’éliminer le diagnostic de rupture vésicale. A l’inverse, la découverte d’une vessie vide, associée ou non à un épanchement intra-abdominal doit faire évoquer ce diagnostic.

Les fractures du bassin avec déplacement peuvent également s’accompagner de lésions rectales. Le toucher rectal ou la rectoscopie prudente peuvent en faire le diagnostic. La tomodensitométrie avec opacification rectale peut dans les cas douteux mettre en évidence une lésion rectale.

Devant la fréquence de ces complications lors des traumatismes pelviens graves, les touchers pelviens doivent être systématiques dès l’arrivée des patients.

1. Dalal SA, Burgess AR, Siegel JH, et al. Pelvic fracture in multiple trauma : classification by mechanism is key to pattern of organ injury, resuscitative requirements, and outcome. J Trauma 1989 ; 29:981-1000 ; discussion 1000-1002.

Question 4 – Quelles sont les différentes méthodes de fixation chirurgicale en urgence d’une fracture instable du bassin ?

Deux options chirurgicales sont envisageables :
— La fixation externe du bassin dont l’objectif est de stabiliser en urgence les fractures du bassin dans un but d’hémostase. Elle a une efficacité théorique sur les saignements d’origine veineuse, mais elle est inefficace sur les saignements d’origine artérielle.
— Les lésions d’ouverture du bassin sont stabilisées à l’aide d’un fixateur externe, en implantant des fiches sur la crête de l’os coxal, en arrière de l’épine iliaque antéro-supérieure ou au dessus du toit du cotyle, entre les épines iliaques antéro-supérieures et antéro-inférieures. Cette fixation pourrait limiter l’hématome rétropéritonéal, notamment dans les saignements veineux et ceux des tranches osseuses fracturées en restaurant un régime pression-volume adéquat dans le rétropéritoine. Dans la plupart des centres de traumatologie, elle nécessite un transfert du patient au bloc opératoire pour une durée minimale de 30 à 45 minutes.
— La stabilisation des lésions postérieures instables mais aussi parfois des lésions d’ouverture du bassin repose sur l’utilisation d’un clamp pelvien dit clamp de Ganz [1]. Bien que son utilisation ne soit que transitoire, il est facile à mettre en place en urgence en posant deux fiches percutanées dans l’os coxal de part et d’autre des articulations sacro-iliaques. Ce clamp pelvien exerce une compression transverse sur l’articulation sacro-iliaque. Il est efficace pour réduire les saignements veineux et permet une stabilisation hémodynamique en l’absence de lésion artérielle [1]. La pose de ce clamp pelvien est rapide (environ 15 minutes) et peut être réalisée sans transfert au bloc opératoire. De plus, le cadre de serrage peut être mobilisé et laisser l’abdomen libre afin de permettre une laparotomie.

1. Ganz R, Krushell RJ, Jakob RP, Kuffer J. The antishock pelvic clamp. Clin Orthop Relat Res 1991:71-78.

Question 5 – Quelles sont les places respectives de l’embolisation pelvienne et du fixateur du bassin en urgence ?

Chez les patients présentant une fracture pelvienne isolée et instables hémodynamiquement, les avis sont partagés entre la réalisation en première intention d’une fixation chirurgicale du bassin avant embolisation ou l’embolisation première [1, 2]. Notre attitude est de pratiquer une embolisation artérielle d’emblée en cas d’instabilité hémodynamique associée à une fracture du bassin. Des études récentes prospectives ont en effet retrouvé chez ces patients des lésions artérielles dans 44 à 76 % des cas [3-9]. Une étude montre par ailleurs que près de la moitié des patients présentant des fractures du bassin susceptibles de bénéficier d’un fixateur externe n’aurait probablement pas eu l’efficacité escomptée puisque qu’elles présentaient au moins une lésion artérielle [4]. La pose du fixateur externe aurait alors retardé l’embolisation thérapeutique.
Une étude rétrospective réalisée au C.H.U. de Bicêtre chez des patients présentant une fracture du bassin compliquée de choc hémorragique, a démontré l’efficacité d’un protocole associant optimisation hémodynamique et embolisation artérielle pelvienne précoce et première, c’est-à-dire non précédée d’un geste de fixation du bassin [10]. L’embolisation était suivie d’une amélioration hémodynamique chez 84 % des patients.
Il convient de remarquer que l’embolisation artérielle et la fixation externe du bassin ne sont pas antagonistes et que l’on peut très bien recourir à l’un puis à l’autre. Néanmoins, devant la fréquence des lésions artérielles chez ces patients en cas d’instabilité hémodynamique, la mise en place chirurgicale d’un fixateur de bassin ne doit pas faire retarder un geste d’embolisation artérielle.

1. Gylling SF, Ward RE, Holcroft JW, Bray TJ, Chapman MW. Immediate external fixation of unstable pelvic fractures. Am J Surg 1985 ; 150:721-724.
2. Bassam D, Cephas GA, Ferguson KA, Beard LN, Young JS. A protocol for the initial management of unstable pelvic fractures. Am Surg 1998 ; 64:862-867.
3. Hamill J, Holden A, Paice R, Civil I. Pelvic fracture pattern predicts pelvic arterial haemorrhage. Aust N Z J Surg 2000 ; 70:338-343.
4. Miller PR, Moore PS, Mansell E, Meredith JW, Chang MC. External fixation or arteriogram in bleeding pelvic fracture : initial therapy guided by markers of arterial hemorrhage. J Trauma 2003 ; 54:437-443.
5. Eastridge BJ, Starr A, Minei JP, O’Keefe GE, Scalea TM. The importance of fracture pattern in guiding therapeutic decision-making in patients with hemorrhagic shock and pelvic ring disruptions. J Trauma 2002 ; 53:446-450 ; discussion 450-441.
6. Velmahos GC, Toutouzas KG, Vassiliu P, et al. A prospective study on the safety and efficacy of angiographic embolization for pelvic and visceral injuries. J Trauma 2002 ; 53:303-308 ; discussion 308.
7. Agolini SF, Shah K, Jaffe J, Newcomb J, Rhodes M, Reed JF, 3rd. Arterial embolization is a rapid and effective technique for controlling pelvic fracture hemorrhage. J Trauma 1997 ; 43:395-399.
8. Biffl WL, Smith WR, Moore EE, et al. Evolution of a multidisciplinary clinical pathway for the management of unstable patients with pelvic fractures. Ann Surg 2001 ; 233:843-850.
9. Velmahos GC, Chahwan S, Falabella A, Hanks SE, Demetriades D. Angiographic embolization for intraperitoneal and retroperitoneal injuries. World J Surg 2000 ; 24:539-545.
10. Fangio P, Asehnoune K, Edouard A, Smail N, Benhamou D. Early embolization and vasopressor administration for management of life-threatening hemorrhage from pelvic fracture. J Trauma 2005 ; 58:978-984 ; discussion 984.

Thomas Geeraerts, Jacques Duranteau