Mis en ligne le 18 Juin 2012

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Patrick PLAISANCE
Jennifer TRUCHOT
Albéric GAYET
Pôle Urgence. Service des Urgences
Hôpital Lariboisière
PARIS

Question 1 – Quelle est la prévalence de l’asthme aigu grave ?

Question 2 – Quels sont les facteurs de risque d’AAG ?

Question 3 – Faut-il mesurer le débit expiratoire de pointe dans l’AAG ?

Question 4 – Quels sont les autres signes cliniques d’AAG ?

Question 5 – Quel est le traitement de première intention ?

Question 6 – Quel est le traitement de deuxième intention ?

Question 7 – Qu’est-ce que l’hypercapnie permissive ?

Question 8 – Quels sont les éléments de surveillance de l’AAG ?
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Question 1 – Quelle est la prévalence de l’asthme aigu grave ?

On estime à 300 millions de personnes la population asthmatique dans le mondeavec une prévalence globale estimée entre 1 et 18% de la population mondiale1. Concernant la France, la prévalence de l’asthme serait de 5% chez l’adulte et de 10 à 18% chez l’adolescent. Son incidence est de 5,8 pour 1 000 personnes années.

Le taux de mortalité de l’AAG diminue depuis 1998. Lesexplications à cette tendance sont l’amélioration des prises en charge avec l’utilisation de corticoïdes inhalés ainsi qu’une meilleure éducation des patients.En France, on recense un taux de mortalité d’environ 1200 décès par an, dont la moitié chez les moins de 65 ans2, bien que ces chiffres soient vraisemblablement surestimés. Parallèlement, on évalue le nombre d’hospitalisations annuelles entre 50 000 et 100 000 pour exacerbations aiguës de la maladie asthmatique et entre 8 000 et 16 000 le nombre d’hospitalisations pour les AAG3.Ainsi, à l’échelle française, la maladie asthmatique représente 1,5 milliards d’euros de dépenses de santé publique dont 38% liés à l’hospitalisation et 37% liés à l’absentéisme.

Question 2 – Quels sont les facteurs de risque d’AAG ?

La fréquence des exacerbations aiguës est variable suivant les individus. Certains sont plus prédisposés que d’autres à présenter des épisodes successifs de crise (exacerbation- prone asthma). Ce risque de récidive semblerait être néanmoins indépendant des facteurs démographiques, cliniques ainsi que de la gravité ou de l’état de contrôle de la maladie. L’explication tiendrait plutôt à l’existence d’un profil caractéristique de patients prédisposés à faire des crises fréquentes. Ce profil comprendrait l’existence de certains facteurs : sinusite chronique, troubles psychiatriques, intolérance aux anti-inflammatoires non stéroïdiens et limitation irréversible des débits expiratoires.

A l’échelle individuelle, les patients ayant consulté aux urgences les mois précédents, ceux hospitalisés pour asthme, en particulier en réanimation avec le recours à l’intubation trachéale sont particulièrement à risque d’AAG. Majoritairement, l’AAG paraît plus fréquent chez les malades évoluant dans un environnement social défavorisé et vivant seuls. Parallèlement, la tendance est de retenir comme principaux facteurs de risque d’AAG: la non-compliance au traitement, le mauvais contrôle de la maladie asthmatique, la sous-utilisation des corticoïdes et l’inaptitude ou le refus de surveillance par l’autoévaluation du DEP.

Question 3 – Faut-il mesurer le débit expiratoire de pointe dans l’AAG ?

Il est important d’évaluer la gravité d’une crise d’asthme suivant son degré d’obstruction bronchique par l’effondrement des débits expiratoires : Volume Expiratoire Maximal en 1 Seconde (VEMS) et débit expiratoire de pointe (DEP). En pratique clinique, seul le DEP est accessible en urgence pour évaluer la gravité d’une crise d’asthme et établir son suivi sous traitement. Le DEP fait office de gold-standard. Exprimé en Litre/min, il représente le volume généré lors d’un effort – considéré comme maximal – d’expiration forcée, après une inspiration profonde. La meilleure de 3 mesures successives est généralement retenue. Le DEP dépend du volume du poumon, de sa compliance et des dimensions des voies aériennes. Il existe donc des valeurs standards dites DEP théorique suivant la taille, le sexe et l’âge du patient.

Des recommandations ont permis de définir des critères précis pour le diagnostic d’AAG en France4. On catégorise ainsi la gravité d’une crise d’asthme à partir de la mesure du DEP suivant sa valeur théorique (définie par les abaques) ou, mieux encore, de la valeur individuelle de référence du patient à l’état stable. Ainsi, on parle d’AAG pour une valeur de DEP mesurée < 30% de sa valeur théorique ou de référence.

Question 4 – Quels sont les autres signes cliniques d’AAG ?

  • crise inhabituelle ou rapidement progressive
  • difficulté à parler ou à tousser
  • orthopnée et/ou dyspnée importante
  • agitation, sueurs, cyanose péribuccale
  • signes de lutte, un tirage
  • FR ≥ 30/ min
  • FC ≥ 120 bpm
  • normo ou hypercapnie

Question 5 – Quel est le traitement de première intention ?

β2- mimétiques

Le traitement de première intention est le recours aux β2-stimulants. Les β2-mimétiques sont les bronchodilatateurs de référence en raison de leur efficacité, de leur rapidité d’action et de l’absence d’effets secondaires majeurs lorsqu’ils sont délivrés par voie inhalée5. Leur délai d’action est de 5 minutes, pour une durée d’action de 15 minutes. Leurs effets secondaires retrouvés sont la tachycardie (par leur action β) et l’hypokaliémie (par transfert trans-membranaire entre les secteurs intra et extra-cellulaires).

Le gaz vecteur

Sur le plan pratique, les β2-mimetiques (terbutaline, salbutamol) sont délivrés par un masque facial pour nébulisation sous l’effet d’un gaz propulseur avec un débit compris entre 6 et 8 l/min afin d’obtenir une granulométrie optimale des particules (environ 5 microns). Le gaz vecteur sera fonction de l’état d’oxygénation du patient mesuré par la SpO2. Si celle-ci est ≥ 95%, le gaz vecteur pourra être l’air. L’oxygène sera gaz vecteur si la SpO2 initiale est < 95%. Si malgré les 6-8 L/min, l’oxygène vecteur n’est pas suffisant, il faudra alors améliorer l’oxygénation par la pose de lunettes et non pas augmenter le débit de gaz au-delà de 8 L/min afin de garder la bonne granulométrie des particules nébulisées.

Le mélange hélium-oxygène n’est jusqu’à présent pas recommandé en routine bien que, en raison de ses caractéristiques, il présenterait un intérêt certain chez les patients graves.  En effet, l’hélium entraine une diminution des pressions de ventilation, des résistances expiratoires, avec par conséquent une amélioration de l’homogénéité du rapport ventilation/perfusion et donc une amélioration de la diffusion des médicaments nébulisés6. Le schéma thérapeutique recommandé dans l’AAG est de réaliser 3 nébulisations consécutives pendant la première heure5.

Anticholinergiques

Les anticholinergiques (bromure d’ipratropium) inhibent les récepteurs muscariniques, à  l’origine d’une bronchodilatation moins marquée qu’avec les β2 mimétiques. Ils offrent un effet additif certain dans l’AAG. L’efficacité des β2 associée aux anticholinergiques serait supérieure aux β2 seuls7. Leurs délais d’action seraient de 60 à 90 minutes. Il est donc recommandé de réaliser dans l’AAG 3 nébulisations de β2-mimétiques associées au bromure d’ipratropium dans l’heure.

Corticothérapie

La corticothérapiea une action retardée sur la composante inflammatoire de la crise mais potentialise plus précocement l’effet des β-2-mimétiques. Les corticoïdes sont à donner systématiquement et le plus rapidement possible. Leur délai d’action est de 60 minutes La posologie recommandée est de 1 mg/kg d’équivalent prednisolone intraveineuse ou per os.

Question 6 – Quel est le traitement de deuxième intention ?

En cas de persistance de signes de gravité après 3 nébulisations continues dans l’heure ou de non réponse au traitement initial (c’est-à-dire, DEP<70% à 2 heures de la prise en charge), il faut envisager la mise en route du traitement de deuxième intention. Dans tous les cas, il faut maintenir les nébulisations de β2-mimétiques et bromure d’ipratropium à raison de 1 à 2 nébulisation par heure.

Sulfate de Magnésium

Le sulfate de magnésium est le traitement de seconde intention. Cet électrolyte présente une action broncho-dilatatrice par effet anti-calcique sur les fibres musculaires lisses. Il aurait un intérêt démontré en termes d’amélioration des critères spirométriques pour les sous-groupes des patients les plus graves en cas de résistance au traitement initial. La posologie préconisée est de 2g en 20 min par voie intra veineuse en débit continu à la seringue électrique8.

Adrénaline

La place de l’adrénaline dans l’AAG est réservée au choc anaphylactique ou en cas de collapsus. On commencera alors par 0,5 mg/heure par voie intra veineuse continue à la seringue électrique. L’adrénaline par voie nébulisée n’a pas montré d’avantages par rapport aux β agonistes. Elle n’a donc pas d’intérêt par cette voie, ce d’autant qu’elle peut induire des effets secondaires tels que des troubles du rythme.

β2-mimétiques par voie intra-veineuse

Le recours aux β2-mimétiques par voie intra-veineuse n’est indiqué qu’en cas d’impossibilité d’utiliser la voie inhalée9. Dans ce cas on administrera le traitement en débit continu par seringue électrique à 1 à 2 mg/hsans faire de dose de charge en intra veineux direct. Il est inutile d’augmenter les posologies au-delà de 5mg/h4.

Question 7 – Qu’est-ce que l’hypercapnie permissive ?

Les indications d’intubation se raréfient en raison de l’optimisation de la thérapeutique inhalée. Le recours à la ventilation artificielle doit être mesuré en raison du risque important de barotraumatisme. L’intubation est indiquée en cas de faillite majeure de la mécanique ventilatoire et/ou de défaillance d’organe type coma, défaillance hémodynamique, arrêt cardio-respiratoire.

La ventilation mécanique invasive doit limiter le risque de barotraumatisme en raison des caractéristiques des patients asthmatiques : hyperinflation dynamique et baisse de compliance de l’arbre trachéobronchique. Le mode ventilatoire est soit en pression contrôlée soit en volume contrôlé avec régulation de pression. Le risque de barotraumatisme est majeur. Ainsi, les réglages du respiratoire sont en rapport avec une « hypercapnie permissive » :

– volume courant très faible (6 ml/kg),

– temps expiratoire long (rapport I/E de 1/3 à 1/5),

– fréquence respiratoire basse (6 à 8 cycles/min),

– débit instantané d’insufflation élevé (100 L/min).

– La FiO2 est réglée de manière à obtenir une SpO2 ≥ 95%.

– La pression de plateau doit être limitée à 30cmH2O maximum. La surveillance de la pression télé-expiratoire en gaz carbonique (PETCO2) est également importante, l’aspect de la courbe de capnographie permet d’évaluer la sévérité du bronchospasme.

Question 8 – Quels sont les éléments de surveillance de l’AAG ?

La surveillance d’un patient en AAG répond à des objectifs paracliniques à des intervalles de temps précis9.

En premier lieu, l’examen clinique permet d’évaluer à la fois l’efficacité thérapeutique et l’évolution du patient. Il repose sur la disparition ou l’amélioration des signes de gravité généraux (neurologiques, hémodynamiques, respiratoires) et l’amélioration auscultatoire par la levée de l’obstruction bronchique.

L’outil de surveillance paraclinique considéré comme étant le gold-standard est le DEP. Les experts recommandent une surveillance du DEP 2 heures après l’admission du patient puis à 3 ou 4 heures. L’évolution des valeurs du DEP lors de ces délais de temps est une aide décisionnelle à l’indication d’hospitalisation.

Ainsi,

  • Pour une mesure initiale de DEP < 30 % de sa valeur théorique,l’hospitalisation est systématique quelle que soit la réponse ultérieure autraitement.
  • Pour une mesure initiale de DEP comprise entre 30% et 50% de sa valeur théorique, l’hospitalisation est recommandée dans la plupart des cas. Elle est indiquée lorsque l’amélioration est insuffisante(DEP < 70%) après 3 heures d’observation et administration d’aumoins 3 nébulisations de β2-agonistes.
  • Pour une mesure initiale de DEP comprise entre 50 et 70% de la théorique, l’hospitalisation est indiquée en cas de mauvaise réponse du traitement (DEP < 70 %) après 3 heures d’observation et l’administration d’au moins 3 nébulisations de β2-agonistes.
  • Pour une mesure initiale de DEP > 70% de la théorique, une hospitalisation n’est jamais nécessaire.

Références :

1.   Masoli M, Fabian D, Holt S, The global burden of asthma: executive summary of the GINA Dissemination Committee report., Global Initiative for Asthma (GINA) Program. Allergy. 2004 May

2.   Marie-Christine Delmas, Abdelkrim Zeghnoun, Eric Jougla. Mortalité par asthme en France métropolitaine, 1980-1999, InVeS, BEH n°47/2004.

3.   Hospitalisations pour asthme en France Métropolitaine 1998-2002, Évaluation à partir des données du PMSI, 2007, InVS.

4.   E. L’Her, Révision de la troisième conférence de consensus en réanimation et médecine d’Urgence de 1988 : prise en charge des crises d’asthme aiguës graves de l’adulte et de l’enfant (à l’exclusion du nourrisson) Réanimation et urgences médicales, Rev Mal Respir, 2002, 19, 658-665. SPLF, Paris, 2002.

5.   Besbes-Ouanes L, Nouira S, Elatrous S, Knani J, Boussarsar M, Abroug F. Continuous versus intermittent nebulization of salbutamol in acute severe asthma: a randomized, controlled trial. Ann Emerg Med. 2000 Sep;36(3):198-203.

6.   Rodrigo GJ, Rodrigo C, Pollack CV, Rowe B. Use of helium-oxygen mixtures in the treatment of acute asthma: a systematic review. Chest 2003 ; 123 : 891-6.

7.   Fitzgerald J.M., Grunfeld A., Pare P.D., Levy R.D., Newhouse M.T., Hodder R., Chapman K.R, the Canadian Combivent Study Group. The clinical efficacy of combination nebulized anticholinergic and adrenergic bronchodilators vs nebulized adrenergic bronchodilators alone in acute asthma. Chest, (111):311–315, 1997.

8.   Silverman RA, Osborn H, Runge J, Gallagher EJ, Chiang W, Feldman J, Gaeta T,Freeman K, Levin B, Mancherje N, Scharf S. Acute Asthma/Magnesium Study Group.IV magnesium sulfate in the treatment of acute severe asthma: a multicenter randomized controlled trial. Chest 2002 ; 122 : 489-97.

9. Salmeron S, Brochard L, Mal H, Tenaillon A, Henry-Amar M, Renon D, Duroux P, Simonneau G. Nebulized versus intravenous albuterol in hypercapnic acute asthma. A multicenter, double-blind, randomized study. Am J Respir Crit Care Med. 1994 Jun;149(6):1466-70