Mis en ligne le 14 Février 2011
Questions Fréquentes

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Pr B Debaene
Département d’Anesthésie-Réanimation
Hôpital de Poitiers

Question 1 – Quels sont les dangers de la succinylcholine en réanimation ?

Question 2 – Quelles sont les indications documentées de la curarisation en réanimation ?

Question 3 – Dans le cadre de la ventilation du SDRA nécessitant l’utilisation de myorelaxant, existe-t-il un degré de bloc neuromusculaire optimal ?

Question 4 – Est il utile de monitorer le bloc neuromusculaire en réanimation ?

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Question 1 – Quels sont les dangers de la succinylcholine en réanimation ?

En dehors des accidents allergiques bien connus avec cette molécule, l’utilisation de la succinylcholine expose le patient de réanimation à un risque d’hyperkaliémie grave pouvant menacer le pronostic vital. Si la physio-pharmacologie de ce curare dépolarisant, agoniste des récepteurs nicotiniques post-synaptiques, explique une augmentation de la kaliémie de l’ordre de 0,5 mEq/l liée à l’ouverture de ces récepteurs, certaines situations pathologiques fréquemment rencontrées en réanimation peuvent occasionner une augmentation de la kaliémie de plusieurs mEq/l. Ces situations pathologiques entraînent une dérégulation de ces récepteurs dont le nombre augmente. Ainsi, à coté des récepteurs nicotiniques matures (constitués des 5 sous unités protéiques alpha-2, bêta, delta et epsilon) possédant une conductance rapide et situés juste au dessous de la terminaison nerveuse, apparaissent des nouveaux récepteurs nicotiniques immatures (alpha-2, bêta, delta et gamma) possédant une conductance lente et dispersés sur toute la surface de la membrane musculaire [1]. Enfin des récepteurs neuronaux (alpha-7) ont récemment été isolés sur la membrane musculaire [2]. Ainsi, lorsque la succinylcholine est administrée, elle se fixe sur tous ces récepteurs (matures, immatures et neuronaux) provoquant leur ouverture et la sortie de potassium vers le compartiment extracellulaire. Il a d’ailleurs été démontré que plus la densité de ces récepteurs était importante plus l’augmentation de la kaliémie était marquée lors de l’administration de la succinylcholine [3]. Afin de réduire l’exposition des patients de réanimation aux conséquences de l’hyperkaliémie massive induite par la succinylcholine, il est essentiel de connaître les états pathologiques qui s’accompagnent d’une augmentation du nombre de récepteurs. Il s’agit des syndromes de dénervation par lésion centrale du motoneurone (intracérébrale et médullaire) et périphérique (neuropathie, section nerveuse), les syndromes de dénervation chimique prolongée (administration de curare non dépolarisant, administration de magnésium, intoxication par la toxine botulique), les lésions musculaires (brûlures étendues, traumatisme musculaire, tumeur), l’immobilisation prolongée (sédation au long court en réanimation), l’atrophie musculaire, les syndromes inflammatoires et les sepsis sévères [1]. Le séjour en réanimation concentre donc toutes les situations potentiellement à risque. D’un point de vue pragmatique, étant donné que ces phénomènes de dérégulations sont assez lents à apparaître, la succinylcholine peut être administrée sans crainte pendant les 48 à 72 heures après l’admission en réanimation. Au-delà de cette limite, le rapport bénéfice/risque de la succinylcholine tend à être défavorable et doit faire administrer ce curare avec prudence. Compte tenu de la fréquence et de la durée des anomalies neuromusculaires acquises en réanimation [4], la restriction de l’utilisation de la succinylcholine doit être maintenue jusqu’à la disparition de la symptomatologie fonctionnelle.

[1] Martyn JAJ, Richtsfeld M. Succinylcholine-induced hyperkalemia in acquired pathologic states. Etiologic factors and molecular mechanisms. Anesthesiology 2006, 104 : 158-69.

[2] Suneki H, Salas R, Dani JA. Mouse muscle denervation increases expression of an alpha-7 nicotinic receptor with unusual pharmacology. J Physiol 2003, 547: 169-79.

[3] Yanez P, Martyn JAJ. Prolonged d-tubocurarine infusion and/or immobilisation cause upregulation of acetylcholine receptors and hyperkalemia to succinylcholine in rats. Anesthesiology 1996, 84 : 384-91.

[4] Herridge MS, Cheung AM, Tansey CM, Matte-Martyn A, Diaz-Granados N, Al-Saidi F, Cooper AB, Guest CB, Mazer CD, Mehta S, Stewart TE, Barr A, Cook D, Slutsky AS. One-year outcomes in survivors of the acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med 2003, 348 : 683-93.

Question 2 – Quelles sont les indications documentées de la curarisation en réanimation ?

Les curares en réanimation peuvent être administrés pour obtenir une paralysie de courte durée nécessaire à l’intubation ou à la réalisation de gestes ponctuels (lavage broncho-alvéolaire par exemple), ou pour induire une paralysie de longue durée comme par exemple pour réduire la tension d’un syndrome du compartiment abdominal, ralentir le métabolisme basal dans les états d’hypothermie thérapeutique ou encore atténuer les poussées d’hypertension intracrânienne. Ces indications ont été malheureusement peu investiguées dans la littérature. L’intérêt de la curarisation de longue durée dans la prise en charge du syndrome de détresse respiratoire aiguë a été étayé par une recherche clinique soutenue. Au moins 5 études ont été publiées sur cette thématique. Deux études anciennes non randomisées n’ont pas réussi à montrer l’intérêt du pancuronium administré en bolus pour améliorer les paramètres d’oxygénation [1, 2]. Les trois autres études ont toutes utilisé le cisatracurium en perfusion soit sur une durée de 2 heures [3] ou de 48 heures [4, 5]. Après deux heures de curarisation, la pression de plateau avait diminué significativement (de l’ordre de 1 cmH2O) et le rapport PaO2/FiO2 avait augmenté significativement (de l’ordre de 20 points) par rapport à la valeur avant curarisation [3], démontrant une amélioration des paramètres respiratoires. Les deux dernières études prospectives et randomisées contre placebo [4, 5] ont utilisé à peu près la même méthodologie. Les patients étaient inclus moins de 48 heures après que le diagnostic de syndrome de détresse respiratoire aiguë ait été posé sur les critères consensuels. En dehors des mesures thérapeutiques habituelles (pression de plateau inférieure à 32 cmH2O, volume courant entre 6 à 8 ml/kg), ces patients sédatés avec une association midazolam-sufentanil (score de Ramsay à 6) recevaient soit un placebo, soit une perfusion continue de cisatracurium sur une période de 48 heures. A la fin de la période de curarisation, le rapport PaO2/FiO2 augmentait significativement chez les patients ayant été curarisés par rapport à ceux ayant reçu un placebo jusqu’à la fin de la période d’observation (soit 3 jours après la fin de l’administration du curare) [4]. La pression de plateau diminuait significativement deux jours après la fin de la période de curarisation et la PEP a pu être réduite de manière significative dès la 24ème heure après la fin de la curarisation. Ces résultats suggèrent qu’une période de curarisation brève (48 heures) et précoce par rapport au début de l’histoire clinique permet d’améliorer les paramètres d’oxygénation du SDRA au-delà de la seule période contemporaine de la curarisation. De plus, une étude récente [5] a confirmé ces résultats et a montré une amélioration de la courbe de survie à 90 jours, après ajustement sur le rapport PaO2/FiO2, le score SAPS II et la pression de plateau, dans le groupe de patients ayant été curarisés pendant 48 heures par le cisatracurium par rapport à un placebo. Cette même étude montrait également une réduction significative de l’incidence des barotraumatismes et de pneumothorax chez les patients ayant été curarisés [5]. En résumé, l’indication de la curarisation en réanimation aujourd’hui documentée se limite au syndrome de détresse respiratoire aiguë dans sa phase précoce pour une durée brève. D’autres études sont nécessaires pour confirmer cette indication en utilisant d’autres molécules curarisantes et en étudiant d’autres durées de curarisation.

[1] Bishop MJ. Hemodynamic and gas exchange effects of pancuronium bromide in sedated patients with respiratory failure. Anesthesiology 1984, 60 : 369-71.

[2] Conti G, Vilardi V, Rocco M, Deblasi RA, Lappa A, Bufi M, Antonelli M. Paralysis has not effect on chest wall and respiratory system mechanics of mechanically ventilated sedated patients. Intensive Care Med 1995, 21 : 808-12.

[3] Lagneau F, D’Honneur G, Plaud B, Mantz J, Gillart T, Duvaldestin P, Marty J, Clyti N, Pourriat JL. A comparison of two depths of prolonged neuromuscular blockade induced by cisatracurium in mechanically ventilated critically ill patients. Intensive Care Med 2002, 28 : 1735-41.

[4] Gainnier M, Roch A, Forel JM, Thirion X, Arnal JM, Donati S, Papazian L. Effects of neuromuscular agents on gas exchange in patients presenting with acute respiratory distress syndrome. Crit Care Med 2004, 32 : 113-9.

[5] Papazian L, Forel JM, Gacouin A, Penot-Ragon C, Perrin G, Loundou A, Jaber S, Arnal JM, Perez D, Seghboyan JM, Constantin JM, Courant P, Lefrant JY, Guerin C, Prat G, Morange S, Roch A. Neuromuscular blockers in early acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med 2010, 363 : 1107-16.

Question 3 – Dans le cadre de la ventilation du SDRA nécessitant l’utilisation de myorelaxant, existe-t-il un degré de bloc neuromusculaire optimal ?

Il apparaît que la curarisation même brève (48 heures) améliore les paramètres de l’oxygénation au cours du SDRA. Les deux études pivots sur cet élément ont pour l’une ajusté la dose de cisatracurium pour n’obtenir aucune réponse au muscle sourcilier témoignant d’un bloc profond [1] et pour l’autre administré des doses très élevées de ce même curare sans monitorage de la curarisation mais laissant supposer également l’obtention d’un bloc profond [2]. A la lecture de ces deux études, il n’est donc pas possible de savoir si l’amélioration des paramètres d’oxygénation serait également obtenue avec des degrés moindres de curarisation. Une seule étude a tenté de savoir s’il existait une influence du degré du bloc musculaire sur l’amélioration des paramètres d’oxygénation [3]. Dans cette étude, deux niveaux de curarisation ont été comparés : une absence de réponse au train de quatre au muscle sourcilier (témoin d’un bloc profond) ou deux réponses au train de quatre sur ce même muscle (témoin d’un bloc plus modéré). La curarisation était obtenue par du cisatracurium. Quel qu’était le niveau de bloc neuromusculaire, les paramètres d’oxygénation (rapport PaO2/FiO2, pression de plateau) n’étaient pas différents entre les deux degrés de curarisation, mais étaient significativement améliorés par rapport aux valeurs observées avant curarisation. En d’autres termes, si une curarisation est utilisée il ne semble pas évident qu’il faille recourir à une curarisation profonde. Cependant d’autres études paraissent nécessaires afin d’argumenter la décision de recourir à un bloc profond.

[1] Gainnier M, Roch A, Forel JM, Thirion X, Arnal JM, Donati S, Papazian L. Effects of neuromuscular agents on gas exchange in patients presenting with acute respiratory distress syndrome. Crit Care Med 2004, 32 : 113-9.

[2] Papazian L, Forel JM, Gacouin A, Penot-Ragon C, Perrin G, Loundou A, Jaber S, Arnal JM, Perez D, Seghboyan JM, Constantin JM, Courant P, Lefrant JY, Guerin C, Prat G, Morange S, Roch A. Neuromuscular blockers in early acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med 2010, 363 : 1107-16.

[3] Lagneau F, D’Honneur G, Plaud B, Mantz J, Gillart T, Duvaldestin P, Marty J, Clyti N, Pourriat JL. A comparison of two depths of prolonged neuromuscular blockade induced by cisatracurium in mechanically ventilated critically ill patients. Intensive Care Med 2002, 28 : 1735-41.

Question 4 – Est il utile de monitorer le bloc neuromusculaire en réanimation ?

Bien qu’il soit encore aujourd’hui bien difficile de proposer un degré du bloc neuromusculaire optimal et nécessaire pour améliorer les échanges gazeux dans le traitement du SDRA, doit on pour autant renoncer au monitorage de la curarisation en réanimation ?

La réponse est à l’évidence non. En effet, le monitorage de la curarisation en réanimation permet, comme en anesthésie, de s’affranchir de la très grande variabilité interindividuelle de l’effet des curares non dépolarisants, de mettre en évidence les modifications des posologies nécessaires au cours du temps pour maintenir un bloc neuromusculaire stable, de suivre la décurarisation spontanée et de faire en fin de compte le diagnostic de curarisation prolongée.

L’administration prolongée de curare non dépolarisant est responsable de la dérégulation des récepteurs nicotiniques post-synaptiques dont le nombre augmente. Ce phénomène a été décrit avec le vécuronium [1] et l’atracurium [2]. La conséquence de cette augmentation du nombre de récepteurs est l’accroissement des besoins en curare non dépolarisant pour maintenir un degré de curarisation stable. Seul un monitorage régulier de la transmission neuromusculaire permet de mettre en évidence ce phénomène et d’ajuster les doses de curares aux besoins. L’ajustement posologique permet également de réduire la consommation de curare. Par exemple, pour une durée de curarisation de plus de 48 heures, la dose cumulée de vécuronium était réduite de moitié entre un groupe de patients de réanimation monitoré par un train de quatre par rapport à un autre groupe pour lequel l’adaptation posologique était seulement clinique [3]. Lors de l’arrêt de l’administration du curare, le monitorage de la curarisation permet de suivre la décurarisation spontanée dont la vitesse est variable d’un patient à l’autre. Par exemple, le délai pour obtenir un train de quatre supérieur à 70 % était de 68 ± 13 minutes (moyenne ± DS) après l’administration de cisatracurium et 387 ± 163 minutes après vécuronium [4]. Enfin le monitorage de la curarisation permet également de poser le diagnostic de curarisation prolongée particulièrement fréquent après l’administration de curares stéroïdiens dont le métabolisme conduit à la production de métabolites ayant des propriétés curarisantes (3-OH-vécuronium par exemple) [5].

[1] Dodson BA, Kelly BJ, Braswell LM, Cohen NH. Changes in acetylcholine receptor number in muscle from critically ill patients receiving muscle relaxant: an investigation of the molecular mechanism of prolonged paralysis. Crit Care Med 1995, 23 : 815-21.

[2] Strange C, Vaughan L, Franklin C, Johnson J. Comparison of train of four and best clinical assessment during continuous paralysis. Am J Respir Crit Care Med 1997, 156 : 1556-61.

[3] Rudis MI, Sikora CA, Angus E, Peterson E, Popovich J JR, Zarowitz BJ. A prospective randomized controlled evaluation of peripheral nerve stimulation versus standard clinical dosing of neuromuscular blocking agents in critically ill patients. Crit Care Med 1997, 25 : 575-83.

[4] Prielipp RC, Coursin DB, Scuderi PE, Bowton DL, Ford SR, Cardenas VJ, Vender J, Howard D, Casale EJ, Murray MJ. Comparison of the infusion requirements and recovery profiles of vecuronium and cisatracurium 51W89 in intensive care unit patients. Anesth Analg 1995, 81 : 3-12.

[5] Segredo V, Caldwell JE, Matthay MA, Sharma ML, Gruenke LD, Miller RD. Persistent paralysis in critically ill patients after long-term administration of vecuronium. N Engl J Med 1992, 327 : 524-8.