Mis en ligne le 14 Novembre 2011
Questions Fréquentes

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Seguin Philippe
Département d’Anesthésie Réanimation
Hôpital Pontchaillou
Rennes

Question 1 – La fibrillation atriale est-elle fréquente en réanimation ?

Question 2 – Pourquoi la fibrillation atriale est-elle si fréquente ?

Question 3 – Quel traitement de la fibrillation atriale ?

Question 4 – Faut il anticoaguler et quand ?

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Question 1 – La fibrillation atriale est-elle fréquente en réanimation ?

La fibrillation atriale est le trouble du rythme le plus fréquent en réanimation [1]. Son incidence, en réanimation médicale et/ou chirurgicale, estimée entre 6 et 10 % [2, 3], est beaucoup plus fréquente que celle observée dans la population générale (≈ 1 %) [4]. Néanmoins elle est moindre qu’en chirurgie cardiaque ou l’incidence postopératoire, variable en fonction de la nature de la chirurgie, se situe à ≈ 30% mais peut atteindre jusqu’à plus de 50% des patients dans certaines séries [5].

Question 2 – Pourquoi la fibrillation atriale est-elle si fréquente ?

La fibrillation atriale est la conséquence d’une interaction plus ou moins forte entre des facteurs cardiaques et extra cardiaques. Dans ce contexte, les sujets âgés, hypertendus, insuffisants cardiaques, et/ou valvulaires sont reconnus comme à risque. Si dans la population générale, les facteurs « cardiaques » prédominent, en réanimation les facteurs extracardiaques peuvent exacerber des facteurs prédisposant préexistants ou tout simplement se suffire à eux-mêmes [6]. Ainsi plusieurs facteurs de risque spécifique ont été authentifiés : usage de catécholamine(s), présence d’un cathéter artériel pulmonaire, sevrage en inhibiteur calcique, pression veineuse centrale élevée [1, 7, 8]. Plus récemment, le rôle de l’inflammation a été rapporté dans plusieurs études épidémiologiques [1, 7-10]. Ainsi, la présence d’un SIRS, sepsis et/ou choc septique sont régulièrement reconnus comme des facteurs de risque. De même, l’inflammation induite par un traumatisme est susceptible de favoriser l’apparition d’une FA et est directement corrélée à l’intensité du traumatisme [7]. Ceci explique en partie pourquoi les FA sont généralement observées à la phase aiguë, sur les premiers jours d’hospitalisation [2, 3].

La situation la plus caricaturale est observée en chirurgie cardiaque ou l’incidence élevée de FA reflète l’exacerbation des risques à la fois liés à la pathologie cardiaque et aux facteurs extracardiaques. Là encore, le rôle de l’inflammation a été souligné, l’incidence de la FA étant maximale les premiers jours postopératoires, en lien avec le pic d’inflammation systémique ; plusieurs études ont ainsi montré que l’administration préopératoire de corticoïdes ou de statines diminuait l’incidence de la FA postopératoire [6, 11].

La recherche d’un facteur déclenchant (trouble métabolique, hypoxie, anémie…) est recommandée mais décevante, la plupart des paramètres mesurés (notamment la kaliémie) à la phase aiguë de la FA n’étant pas discriminant par rapport aux patients indemnes de trouble du rythme [1, 8]. Le dosage du magnésium (Mg2+) plasmatique n’a pas d’intérêt en pratique (1 % du pool magnésien) et celui de la fraction intra-érythrocytaire (34 % du pool) est difficile et peu répandu. S’il est classique de rechercher et corriger une hypovolémie, aucune étude pertinente ne permet d’étayer une telle assertion. La réalisation d’une échocardiographie systématique à visée étiologique, à la recherche d’une péricardite notamment en postopératoire de chirurgie cardiaque, n’a pas d’intérêt.

Question 3 – Quel traitement de la fibrillation atriale ?

Il faut d’emblée distinguer la FA mal tolérée sur le plan hémodynamique et pour laquelle le choc électrique externe (CEE) s’impose en urgence [4]. Néanmoins, dans un travail récent réalisé en réanimation, le succès primaire du CEE est faible (35 %) et la récidive de la FA est fréquente, rapportée dans respectivement 38 et 62 % des cas aux 24 et 48ème heures [12]. Ceci souligne l’intérêt d’un traitement institué rapidement après le CEE permettant de conserver le bénéfice de la réduction électrique. Dans le même esprit, la récidive itérative du trouble du rythme peut nécessiter l’administration d’un agent anti arythmique avant le choc électrique afin d’en optimiser l’efficience [12].

Lorsque l’hémodynamique n’est pas altérée par le trouble du rythme, l’urgence est d’attendre ! En effet, la réduction spontanée n’est pas rare. Ainsi, une étude effectuée en cardiologie comparant l’amiodarone à un placebo, rapportait 64 % de retour à un rythme sinusal à la 24ème heure dans le groupe placebo [4].

La question d’un traitement médicamenteux se pose dans le cas d’une FA persistante ou récidivante. La faiblesse des études réalisées en réanimation ne permet pas de privilégier une thérapeutique plus qu’une autre [14]. Force est de se tourner vers les études cardiologiques ou deux grandes options émergent : le contrôle du rythme ou celui de la fréquence cardiaque [4]. Quelle que soit la stratégie adoptée, il y a lieu d’être particulièrement prudent quant à l’emploi de la plupart des molécules recommandées. En effet, leur utilisation à la phase aiguë peut s’avérer délicate chez des patients souvent instables, polymédicamentés et pour lesquels l’évaluation cardiaque n’est pas toujours aisée. Il n’y a donc pas de bon ou mauvais choix et l’expérience du praticien vis-à-vis d’une molécule est déterminante. L’amiodarone et la digoxine pour respectivement le contrôle du rythme ou de la fréquence sont des choix raisonnables, en sachant que l’amiodarone permet aussi le contrôle de la fréquence [4]. En présence d’une insuffisance rénale, l’amiodarone est préférée, car le dosage de la digoxine est nécessaire pour adapter la posologie. L’association catécholamines-digoxine n’est contre indiquée qu’en cas de surdosage en digoxine. L’utilisation d’esmolol IV (β bloquant) est une alternative intéressante pour contrôler la fréquence du fait d’une demi-vie courte. L’administration intraveineuse de Mg2+, proposée par certains, ne repose que sur une seule étude de faible pertinence [15] et n’est d’ailleurs même pas mentionné dans les recommandations internationales [4]. Enfin, quel que soit le traitement institué, il doit être réévalué (et le plus souvent stoppé) avant la sortie du patient de l’hôpital. Les conséquences d’un traitement utile à la phase aiguë mais inutile au long terme peuvent être à l’origine d’effets secondaires, notamment avec l’usage de certaines molécules (amiodarone par exemple).

Question 4 – Faut il anticoaguler et quand ?

Là encore pas de précipitation… Si le risque d’un accident vasculaire cérébral lié à une FA en réanimation est mal appréhendé dans la littérature, il doit être contre balancé par les risques hémorragiques d’une anticoagulation efficace en situation postopératoire, d’abords multiples et/ou lorsqu’il existe des troubles de la coagulation sanguine quelles que soient leurs étiologies. Dans ce contexte, il est probablement utile de rappeler que les mécanismes qui concourent à la survenue d’une FA en réanimation sont différents de ceux observés dans la population générale avec une exacerbation des facteurs extracardiaques. Le travail multicentrique d’Annane et al. apporte certains éléments de réponse sans pouvoir conclure définitivement [4]. En effet, les séquelles neurologiques étaient significativement plus fréquentes chez les patients qui développaient un trouble du rythme supra ventriculaire durant leur séjour en réanimation (15 % vs 6 %) [1]. Cependant, les séquelles neurologiques à la sortie de réanimation étaient plus le fait de lésions d’anoxie cérébrale diffuse (67 %) que d’accidents vasculaires focaux (33 %) ; de plus les accidents vasculaires focaux étaient plus fréquemment observés chez les patients qui n’avaient développé aucune arythmie durant leur séjour (33 % [4/12] vs 67 % [37/55]). D’autre part, les troubles du rythme supra-ventriculaires n’augmentaient pas le risque de séquelle neurologique (événements focaux et/ou lésions d’anoxie diffuses), contrairement aux troubles du rythme ventriculaires. Le problème est probablement différent après chirurgie cardiaque où il a été montré que les risques de séquelles neurologiques étaient significativement associés à la présence d’arythmie ventriculaire ou supra-ventriculaire [16]. Ceci étant, en l’absence de données précises pour le domaine de la réanimation, les sociétés de cardiologie recommandent une anticoagulation curative au-delà de la 48ème heure de FA. Au-delà, il est recommandé, si une cardioversion est envisagée, de réaliser une échocardiogarphie transoesophagienne afin de s’assurer de l’absence de thrombus intra-cardiaque [4]. A la phase aiguë, l’héparine intraveineuse est à privilégier car son efficacité est facile à contrôler, sa demi-vie courte et l’antagonisation possible. L’administration sous-cutanée de calciparine ou d’HBPM peut conduire à des sous dosage du fait d’une résorption possiblement altérée (vasoconstriction et/ou œdème) et les HBPM contre indiqués en cas d’insuffisance rénale. Les nouveaux anticoagulants oraux ne doivent pas être utilisés à la phase aiguë du fait de leur demi-vie longue et l’absence d’antagonisation possible.

[1] Annane D, Sébille V, Duboc D, Le Heuzey J-Y, Sadoul N, Bouvier E, et al. Incidence and prognosis of sustained arrhythmias in critically ill patients. Am J Respir Crit Care Med 2008; 178 : 20-5.

2 – Seguin P, Signouret T, Laviolle B, Branger B, Mallédant Y. Incidence and risk factors of atrial fibrillation in a surgical intensive care unit. Crit Care Med 2004; 32: 722-6.

3 – Brathwaite D, Weissman C. The new onset of atrial arrhythmias following major noncardiothoracic surgery is associated with increased mortality. Chest 1998; 114: 462-8.

4 – Fuster V, Rydén LE, Cannom DS, Crijns HJ, Curtis AB, Ellenbogen KA, et al 2011 ACCF/AHA/HRS focused updates incorporated into the ACC/AHA/ESC 2006 Guidelines for the management of patients with atrial fibrillation: a report of the American College of Cardiology Foundation/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines developed in partnership with the European Society of Cardiology and in collaboration with the European Heart Rhythm Association and the Heart Rhythm Society. Circulation 2011 Mar 15; 123: e269-367.

5 – Maisel WH, Rawn JD, Stevenson WG. Atrial fibrillation after cardiac surgery. Ann Intern med 2001; 135: 1061-73.

6 – Seguin P, Launey Y. Atrial fibrillation is not just an artefact in ICU. Crit Care 2010; 14: 182.

7 – Seguin P, Laviolle B, Maurice A, Leclercq C, Mallédant Y. Atrial fibrillation in trauma patients requiring intensive care. Intensive Care Med 2006; 32: 498-504.

8 – Knotzer H, Mayr A, Ulmer H, Lederer W Schbersberger W, Mutz N, et al. Tachyarrhythmias in a surgical intensive care unit: a case-controlled epidemiologic study. Intensive Care med 2000; 26 : 908-14

9 – Bender JS. Supraventricular tachyarrhythmias in the surgical intensive care unit: an under-recognized event. Am Surg 1996; 62: 73-5

10 – Meierhenrich R, Steinhilber E, Eggermann C, Weiss M, Voglic S, Bögelein D, et al. Incidence and prognostic impact of new onset atrial fibrillation in patients with septic shock: a prospective observational study. Crit Care. 2010; 14: R108.

11 – Fauchier L, Pierre B, de Labriolle A, Grimard C, Zannad N, Babuty D. Antiarrhythmic effect of statin therapy and atrial fibrillation a meta-analysis of randomized controlled trials. J Am Coll Cardiol. 2008 26; 51: 828-35

12 – Mayr A, Ritsh N, Knotzer H, Dünser M, Schobersberger W, Ulmer H, et al. effectiveness of direct-current cardioversion for treatment of supraventricular tachyarrhythmias, in particular atrial fibrillation in surgical intensive care patients. Crit Care Med 2003; 31: 401-3

13 – Cotter G, Blatt A, Kaluski E, Metzkor-Cotter E, Koren M, Litinski I, et al. Conversion of recent onset paroxysmal atrial fibrillation to normal sinus rhythm: the effect of no treatment and high-dose amiodarone. Eur Heart J 1999; 20: 1833-42

14 – Kanji S, Stewart R, Fergusson DA, McIntyre L, Turgeon AF, Hébert PC. Treatment of new-onset atrial fibrillation in non cardiac intensive care unit patients: a systematic review of randomized controlled trials. Crit Care Med 2008; 36: 1620-4

15 – Moran JL, Gallagher J, Peake SL, Cunningham DN, Salagaras M, Leppard P. Parenteral magnesium sulphate versus amiodarone in the therapy of atrial tachyarrhythmias: a prospective, randomized study. Crit Care Med 1995; 23: 1816-24

16 – Taylor GJ, Malik SA, Colliver JA, Dove JT, Moses HW, Mikell FL et al. Usefulness of atrial fibrillation as a predictor of stroke after isolated coronary artery bypass grafting. Am J Cardiol 1987; 60: 905-7